samedi 18 janvier 2014

Ce petit Rien : en attendant le film, l'histoire de l'affiche... (3ième, et dernière, partie)

Oui bon, de mon point de vue évidemment, ça paraissait énorme comme aveu. Mais il faut bien comprendre ce que ça signifie de se lancer dans une aventure comme celle entreprise par Laure. Et aussi l’intensité qu’elle y met, le degré d’investissement personnel qui caractérise ses projets, qui fait qu’en voyant le résultat, on reconnaît instantanément le regard unique de Laure K. Les affres de la création étant donc ce qu’elles sont, j’imaginai sans peine que Laure puisse à ce point être absorbée par divers questionnements – et mille autres occupations et préoccupations – bref, que son propre point de vue l’envahisse jusqu’à en obnubiler toute conscience du fait que je n’étais manifestement ni devin ni voyant.

Elle complétait sa réponse, pour m’aider un peu sans me dire trop ouvertement que j’étais une fois de plus à côté de la plaque, en me donnant des précisions sur le sujet du film, agrémentées de quelques images supplémentaires qui en avaient été extraites, le tout accompagné d’indications précieuses pour que j’en saisisse mieux le ton.

Et là, je ne pus que réaliser, barnak, que ma première intuition avait été la bonne! Qu’il y avait bel et bien de la tourmente dans l’air, à tel point que mon petit piaf sifflotant s’avérait en fait d’une incongruité qui frôlait carrément l’irrévérence. Bon, ça faisait tout de même un petit moment que je m’excitais tout seul dans mon coin comme un demeuré à jouer aux devinettes picturales… je n’allais quand même pas remettre ça un autre coup, non? Si!

Ou plutôt : oui et non. Incapable de me résoudre à jeter définitivement l’éponge, je puisai dans ma réserve des images qui me semblaient plus ou moins coller avec les dernières indications de Laure et lui envoyai illico trois nouvelles propositions. Saluant ma promptitude, elle accusa réception en me précisant qu’elle repartait dans les bois. Bon... 

Passèrent les semaines… Pas de nouvelles…

Bonne nouvelle? Jour de la marmotte?

Je me trouvai tout de même un peu comique quand je repensai au remue-ménage que je m’étais infligé (ainsi qu’à ma blonde), il y avait maintenant près de deux mois et demi, tout ça par empressement à répondre à une invitation qui certes n’était pas si pressante, mais que je ne voulais pas décevoir, qui m’emballait franchement. Pour être emballé, je l’étais, eh ballot!

Nous progressions tout de même, malgré des allures d’éternel recommencement, grâce à des itérations jusque-là peu fécondes, mais dont la dernière fut décisive. Ce long délai s'avéra donc typiquement suivi d’une réponse où il apparaissait clairement qu’une fois de plus, ça ne collait pas vraiment. Ce coup-là, Laure, à bout de ressources me semblât-il, se résolut à me faire voir le film, en me proposant de tout reprendre à zéro…

Ouf! Le film! Que je vous dise d’abord que le clip que j’avais imaginé être tiré du film ne l’était pas le moins du monde – manifestement tourné au même moment, mais pour ce qui est du ton et du propos : aucun rapport, sinon antithétique, plutôt un excédant réutilisé ailleurs et autrement… Quant au fameux plan à la source de tout ce processus, il n’avait pas du tout été filmé là où je l’avais imaginé et, surtout, n’avait absolument pas le sens que je lui prêtais depuis le début. (J’ai également appris par la suite qu’il avait été coupé au montage final.)

L’absurde cruauté, si involontaire qu'elle fût, de cette interminable charade me cingla la face dès que je fus confronté à ce qui ne pouvait que m’échapper depuis le début (et si évident pourtant)! Je ne sais pas quand ce sera possible, mais quand vous verrez le film, vous comprendrez. En même temps, c’était tellement prenant que, dès les premières secondes, mes futiles frustrations d’affichiste de fortune ne purent qu’instantanément se dissiper. C’est très court comme film, tout juste six minutes. Mais ces six minutes-là, elles vous passent à travers le corps pour s’incruster à jamais dans votre esprit… Six minutes à haute densité.

C’est seulement après coup que tout ce non-sens s’est insinué en moi comme un lent poison, pour finalement me mettre littéralement hors de moi. Parce que là, franchement, reprendre tout à zéro? Après tous ces efforts, ces emportements à vide, ces coups d’épée dans l’eau… Sachant ce que j’en aurais tiré si j’avais simplement pu voir le film dès le départ! Osti là non! Fuck you Laure K., torche-la toi-même ta câlisse d’affiche! (Oui heu… je synthétise quelque peu abruptement la réponse que je lui fis, mais pour l’essentiel, c’était quand même pas mal ça le message…)

Mais je gardais tout de même un profond regret d’en être réduit à ce pitoyable désistement. Ayant vu le film, je ne pouvais me sortir de la tête que cette affiche-là, la mienne, si ratée qu’elle pût être, je devais à Blue d’avoir tout essayé pour la lui offrir. D’autant plus que ça avait été plus fort que moi, je l’avais vue l’image porteuse du sens profond de ce film bouleversant! (Et ce n’était effectivement pas celle que m’avait envoyée Laure au départ.) Ne pouvant résister, j’ai tout de même esquissé l’affiche que j’aurais faite si j’en avais eu la chance – je n’avais plus l’énergie ni l’enthousiasme pour fignoler, mais il fallait au moins que je jette sur le papier l’idée brute. Et voyant le résultat, je l’ai tout de même envoyé à Blue… qui l’a transmis à Laure… qui l'a finalement accueilli positivement

Voici donc l’aboutissement (hâtivement griffonné) de cette interminable maïeutique :



Épilogue

Et, franchement, avec le recul, je me questionne. Aurais-je eu cette vision sans tout ce qui l’a précédée? Le résultat aurait-il été plus juste, plus parlant si j’avais vu le film dès le départ? Je n’en suis plus si sûr maintenant… La construction d’une image participe d’un ensemble insaisissable de tensions, d’influences, de mouvements intérieurs à la fois subtils et criants.

En fait, bien que ce ne fut nullement délibéré et sous une forme quelque peu travestie – mais non moins véritable, Laure m’aura fait vivre l’expérience du kōan. Elle m’en a taillé un sur mesure. Et de ça, je lui suis profondément reconnaissant. (C’est d’ailleurs, à  mon sens, une expérience où questionneur et questionné fusionnent inévitablement dans la réponse, quelle qu’elle se révèle en fin de compte.) C’est pourquoi cette image en filigrane, l’imparable déclencheur, avec ses hasardeuses déclinaisons, j’ai voulu qu’elle ne disparaisse pas tout à fait. Je tenais à la dévoiler, pour que l’affiche soit lue pour ce qu’elle est : un palimpseste. (Ce qu’est tout autant Ce petit Rien.)

Au final, j’en arrive à remercier Laure de m’avoir mis, bien malgré elle, dans cet état qui ne m’a pas permis de cogiter, de ciseler, bref de maîtriser le résultat final, qui m’aura plutôt été arraché, sans que j’aie eu moi-même le temps d’en saisir toute la portée. Portée qui, bien sûr, ne vous sera entièrement intelligible que lorsque vous verrez ce petit film d’une rare intensité. Bientôt, je l’espère, mais ce bout-là est évidemment tout à fait hors de mon contrôle...

2 commentaires:

  1. Ton témoignage m'est tout à fait éclairant quant à la difficulté d'ouvrir son travail vers autrui.
    Pour tout dire, je ne sais pas d'où me vient cette demande d'inviter l'autre à visiter une oeuvre gardée secrète jusque là. J'ai réitéré ce processus il n' y pas longtemps masi cette fois ma demande étati sous formes de mots. Le processus qui s'en est suivi s'est révélé du même acabit que ce tour de force que tu décris.

    Je crois que j'ai bien tord de vouloir ouvrir ce genre de porte à autrui, puisque je ne peux laisser libre court à son interprétation. Cependant cette dernière illustration m'a émue et, oui, je l'ai reconnue, après un temps, comme une "lecture" autre, possible, différente.

    Je crois qu'il y a une demande de point de vue autre.
    Mais incontestablement, j'aurai dû t'envoyer le film dès le départ.

    Loin de moi l'idée d'avori voulu te faire "mariner", mais à la lecture de tes billets, je dois bien admettre et reconnaître l'indélicatesse du commanditaire que je suis alors devenue.

    S'il y a une leçon à retenir, c'est peut être effectivement de réfléchir à deux fois avant que de vouloir embarquer autrui vers une appropriation qui s'avère fermée à double tour ou du coup, trop directif. J'en apprends davantage sur ce comportement un peu paradoxal et de ce que ça peut provoquer chez l'autre.
    J'accepte ça, de me remettre en question.




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    1. À vrai dire, je ne crois pas que tu serais la vidéaste que tu es sans cette capacité de te remettre en question. :) C’est une des raisons pour lesquelles je me suis senti autorisé à partager cette expérience. (Où je questionne aussi, d'ailleurs, la juvénilité de mes enthousiasmes...) Également, le paradoxe d’une telle demande me paraît bien loin d’être anodin, c’est même plutôt un genre de "classique". Me suis donc dit que pour quiconque rêvant de fructueuses collaborations artistiques, il y avait là matière à creuser...

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