Je suis retombé sur un
texte ancien, qui avait une toute autre vocation, et j’en ai extrait un petit bout touchant au processus de création que je vous livre ici - entre autres parce qu’il illustre parfaitement un
échange récent là-dessus avec La Rouge :
J'étais donc chez moi en train de me débattre avec un portrait de Gainsbourg que j'essayais désespérément de peindre (ça n'a l'air de rien, je sais, mais rendre avec justesse l'esprit qu'abrite une gueule aussi typée, c'est pas de la tarte, surtout que là, on parle de quelqu'un qui a vraiment tout fait pour masquer sa sensibilité)… Bref j'étais là, un pinceau dans chaque main, un autre dans la bouche, me précipitant dans la salle de bain avec mon barbouillage à la main pour le foutre sous la douche une énième fois (j'utilise un papier diablement résistant), histoire d'éliminer quelques couches partiellement séchées, pour introduire un peu d'aléa dans le processus, je ne sais trop, enfin, invoquer les puissances hasardeuses pour que se révèle enfin à moi ce que je cherchais sans trop savoir ce que c'était, vous voyez? Bref, je suais sévère pour qu'enfin la fièvre m'habite et que se dénoue l'énigme Gainsbourg que j'étais à m'inventer. Comme ça se passe toujours, j'ai carrément perdu la tête et dans la fougue j'ai totalement oublié Gainsbourg pour faire éclater la couleur et la vie; et merde si à la fin c'était pas lui! Vous pouvez imaginer la tronche que ça lui a value… Vaguement extraterrestre… J'étais pas mécontent du résultat quand même; bon, d'accord, c'était pas du tout ce que je voulais faire au départ, mais alors là pas du tout, je lui avais d'abord peint un arrière-plan soigneusement choisi pour bien illustrer son rapport aux femmes assez contradictoire, il me semble (je veux dire : l'image publique d'un côté, et ses rapports réels avec les femmes de sa vie de l'autre), et voilà qu'à la dernière seconde j'avais couvert tout ça d'un jaune vibrant où dansaient des formes aux accents vaguement africains… Et vous savez quoi? J'ai mis un certain temps à m'en rendre vraiment compte, mais j'avais peint Gainsbourg dans la peau d'un Noir! Et le fond, les motifs, tout ça, ben c'était tout bonnement de vagues réminiscences de la peinture de Miles Davis… J'ai pas du tout vu venir le coup mais "Black Gainsbourg", Gainsbourg-Davis, je crois pas que ce soit une association purement fortuite, vous voyez?
Une bonne dizaine d’années plus tard, si jamais quelque lecteur d’alors se retrouvait ici, il découvrirait que cette digression n’était pas une simple stratégie textuelle, mais que j’étais réellement, et tel que décrit, en train de me batailler avec ce truc…
Bon, j’avais l’air d’avoir finalement abouti à une quelconque révélation, mais franchement, là, aujourd’hui, la relation Gainsbourg-Miles me paraît assez tirée par les cheveux… (Et le lien avec la
peinture de Miles Davis, pas si évident non plus…)
La même image se trouve sur
mon site (déjà vieux également), accompagnée de cette phrase :
En art, on peut bâtir avec tout. Sauf un compromis.
Ce qui n’est pas si mal. Gainsbourg et Miles Davis n’étant, en effet, pas très portés sur le compromis, on va dire… Mais Marguerite Duras non plus, et pas qu’elle si on va de ce côté… rien donc qui éclaire cette fortuite (mais, évidemment, pas tout à fait quand même) "congruence".