dimanche 2 juin 2013

Plumigenèse

Je suis retombé sur un texte ancien, qui avait une toute autre vocation, et j’en ai extrait un petit bout touchant au processus de création que je vous livre ici - entre autres parce qu’il illustre parfaitement un échange récent là-dessus avec La Rouge :

J'étais donc chez moi en train de me débattre avec un portrait de Gainsbourg que j'essayais désespérément de peindre (ça n'a l'air de rien, je sais, mais rendre avec justesse l'esprit qu'abrite une gueule aussi typée, c'est pas de la tarte, surtout que là, on parle de quelqu'un qui a vraiment tout fait pour masquer sa sensibilité)… Bref j'étais là, un pinceau dans chaque main, un autre dans la bouche, me précipitant dans la salle de bain avec mon barbouillage à la main pour le foutre sous la douche une énième fois (j'utilise un papier diablement résistant), histoire d'éliminer quelques couches partiellement séchées, pour introduire un peu d'aléa dans le processus, je ne sais trop, enfin, invoquer les puissances hasardeuses pour que se révèle enfin à moi ce que je cherchais sans trop savoir ce que c'était, vous voyez? Bref, je suais sévère pour qu'enfin la fièvre m'habite et que se dénoue l'énigme Gainsbourg que j'étais à m'inventer. Comme ça se passe toujours, j'ai carrément perdu la tête et dans la fougue j'ai totalement oublié Gainsbourg pour faire éclater la couleur et la vie; et merde si à la fin c'était pas lui! Vous pouvez imaginer la tronche que ça lui a value… Vaguement extraterrestre… J'étais pas mécontent du résultat quand même; bon, d'accord, c'était pas du tout ce que je voulais faire au départ, mais alors là pas du tout, je lui avais d'abord peint un arrière-plan soigneusement choisi pour bien illustrer son rapport aux femmes assez contradictoire, il me semble (je veux dire : l'image publique d'un côté, et ses rapports réels avec les femmes de sa vie de l'autre), et voilà qu'à la dernière seconde j'avais couvert tout ça d'un jaune vibrant où dansaient des formes aux accents vaguement africains… Et vous savez quoi? J'ai mis un certain temps à m'en rendre vraiment compte, mais j'avais peint Gainsbourg dans la peau d'un Noir! Et le fond, les motifs, tout ça, ben c'était tout bonnement de vagues réminiscences de la peinture de Miles Davis… J'ai pas du tout vu venir le coup mais "Black Gainsbourg", Gainsbourg-Davis, je crois pas que ce soit une association purement fortuite, vous voyez?





















Une bonne dizaine d’années plus tard, si jamais quelque lecteur d’alors se retrouvait ici, il découvrirait que cette digression n’était pas une simple stratégie textuelle, mais que j’étais réellement, et tel que décrit, en train de me batailler avec ce truc…

Bon, j’avais l’air d’avoir finalement abouti à une quelconque révélation, mais franchement, là, aujourd’hui, la relation Gainsbourg-Miles me paraît assez tirée par les cheveux… (Et le lien avec la peinture de Miles Davis, pas si évident non plus…)

La même image se trouve sur mon site (déjà vieux également), accompagnée de cette phrase :

En art, on peut bâtir avec tout. Sauf un compromis.

Ce qui n’est pas si mal. Gainsbourg et Miles Davis n’étant, en effet, pas très portés sur le compromis, on va dire… Mais Marguerite Duras non plus, et pas qu’elle si on va de ce côté… rien donc qui éclaire cette fortuite (mais, évidemment, pas tout à fait quand même) "congruence". 

12 commentaires:

  1. Délicieux. Je vais revenir plus longuement, manque de temps ce matin mais ce n'est pas tiré par les cheveux. En ce sens que Gainsbourg a toujours misé sur les émotions primaires, tribales. Il y a une certaine pureté dans le désir de tout enlevé pour ne garder que l'émotion nue. Miles avait cela aussi. Merci de ce partage Plumi.

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    1. Et puis le jaune quasi 100% en fond c'est clairement un désir de non compromission. Cette couleur peut tuer de son tranchant. Le jaune de cette intensité est comme le mauve, ne parle pas aux autres couleurs, elle hurle. Tu sais quand j'ai regardé pour la deuxième fois, j'ai vu le fils Higelin, curieux. H est très tribal aussi.

      Quelle papier tu utilises plumi?

      Je crois que la toile blanche, appelle au lien. On s'y accroche, on remonte le fil et puis un moment donné des tonnes d'embranchements défilent et ils se communiquent. Quand tout se parle de belle façon, la création est réalisé. C'est de la musique en couleurs en fait. Le même procédé mathématique que le son mais dans le silence.

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    2. c'est vrai pour la tronche d'Arthur H, il y a un peu de ça aussi, j'avais pas réalisé... (concernant le papier, honnêtement, j'y vais à l'instinct pour la résistance et le fini, je penche souvent pour Arches mais je suis pas très systématique là-dessus...)

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  2. Je suis de type volcan, je fonctionne à la secousse.

    J'ai relu ton (texte ancien) sur la création et sa philosophie. J'ai noté " Schopenhauer, philosophe de l'absurde ", ce livre m'intéresse.

    Je me suis toujours instinctivement protégée des pensées des autres, bien que j'ai lu sans être une intellectuelle (loin de là) et que j'adore encore lire et bien je ne m'accroche pas aux bouquins. Laborit m'a réconforté par contre. Et Duras, possède les mots de ma solitude. J'aime sans m'attacher, je ne sais pas trop comment on fait, à vrai dire. Peut-être qu'un jour, on m'apprendra. Enfin.

    Et puis l'autre raison c'est que j'ai appris à créer dans le vide, que dans le vide et bien il y a toute la possibilité des pensées nouvelles qui peuvent s'agiter sans interférence. Pour moi le processus créateur est un désir de peuplade identique à faire des enfants. Une fois l'idée accouchée, il n'y a que le besoin d'en copuler une autre, puis une autre. C'est de l'ordre de la survie, un peu comme une plante qui sème ses graines à tout vent dans le but de s'assurer une suite à son existence. Un peu comme tout les commentaires que les gens laissent sur le web comme un trace, un passage qui donne l'illusion d'être vivant. On a pas inventé le web pour les petits oiseaux mais pour donner l'illusion aux êtres de croire qu'ils peuvent guérir leur mal de vivre. Une belle arnaque. Ma vision.

    Souvent l'aspect obsessionnelle de la création prend racine dans une situation de survie qui part de l'enfance et puis ça enfle. Le mouvement prend de l'ampleur, jusqu'à ne plus savoir faire autrement.

    Créer pour ne pas mourir, créer pour ne pas perdre le sens d'exister comme un chien qui pisse sur tout les maudits poteaux de la ruelle. C'est instinctif je crois. Enfin, ma vision de ce matin. ;)

    Bonne journée Plumi.

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    1. Merci à toi La Rouge pour ce généreux et inspirant partage!

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  3. Salut Michel (ou Plumitif si tu préfères) !
    Je viens de relire ton texte de "Doxa" dans son intégralité ( savais pas qu'il était encore sur le Net) et ça me flanque une sacrée nostalgie, comme un coup de blues... Sacré texte que tu avais écrit là, et d'une grande profondeur. Mais la photo du tableau (qui n'était pas sur le texte original) est très éclairante, et figure-toi qu'elle en modifie la perception que je pouvais en avoir. J'aime aussi beaucoup la façon dont tu passes de la description de ta fièvre créatrice à une réflexion sur l'art (mais pas seulement ça !).
    Ton blog est passionnant, il te ressemble.
    A bientôt Michel le Plumitif...

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    1. Salut Jacques; c'est vraiment un grand plaisir de te retrouver ici! Tout particulièrement d'avoir cette chance de partager avec toi, après si longtemps, le résultat de cette poussée de fièvre créatrice qui avait bel et bien nourri ce texte (que j’ai par la même occasion redécouvert avec, tout comme toi, un petit pincement nostalgique au cœur)...
      En tout cas, je suis ravi que l’endroit te plaise et espère bien avoir l’occasion de t’y offrir d’autres bons moments!

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  4. Ce billet est d'une éclatante richesse !

    Black Gainsbourg, j'adore.

    J'aime beaucoup ta narration relatant ces pinceaux que tu tritures avant de te lancer définitivement, cette analyse de cette énigme que tu inventes toi-même...

    En art, on peut bâtir avec tout. Sauf un compromis.

    Ça, ça jette à terre.

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  5. Un régal, ce billet! Te lire est un vrai bonheur, Plumi... C'est vraiment remuant et tellement toujours fait avec cet humour élégant. J'aime cette toile !

    Tout cela me rappelle une petite histoire, tranche de ma vie, qui pourra peut-être donner un supplément d'âme encore à ce Black Gainsbourg, j'ignorais tout de la peinture de Miles Davis, soi-dit en passant, j'aime beaucoup ce musicien, Serge aussi d'ailleurs... Bon, me petite histoire.
    jeune maman, j'ai cherché une jeune fille pour garder mes enfants, je travaillais beaucoup, je travaille encore beaucoup d'ailleurs. Une jeune étudiante, camerounaise, venue en France pour passer son bac et envisageant d'entreprendre des études de pharmacie se présente suite à mon annonce mise au Crous et nous nous sommes entendues bien tout de suite. Elle s'occupe ainsi pendant quelques mois des mes trois petits gars. Un jour, elle me présente sa tante, la soeur de sa mère qui venait elle aussi d'arriver direct de son pays d'Afrique et qui avait un mal fou à s'adapter au climat du Nord et aussi à la manière d'être des gens ici. pendant quelque temps je l'héberge, pour la dépanner et elle apprend à vivre avec nous et nous avec elle... Un jour, dans un français timide elle se plante devant moi et me dit:
    " Toi, tsè, Blue ( avec le tsst, test, typique des africaines, ché pas si tu connais, ce petit bruitage qu'elles font avec la langue qui claque sur le palais), toi, t'es blanche, ça oui, t'es blanche mais t'es noire à l'intérieur ! "
    :-))

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    1. ah ben là j'avoue: Black Blue, c'est kekchose aussi! :))

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  6. C'est la couleur " tendance " pour l'hiver prochain !!
    :-))

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