vendredi 11 janvier 2013

Fait d’hiver


à la crête des vagues anonymes
de la foule se dessine parfois le
profil du cancer qui la mine

La neige poudreuse, cristalline, virevolte en spirales délicates, auréolant mes pas secs et craquants. La foule autour de moi est dense. Les gens sont pressés, têtes rentrées, collets remontés.

Au cœur de la masse uniforme des corps, j’aperçois la face grimaçante d’un homme, visage sans âge, ravagé par la misère. Sale, vêtu d’une simple chemise de coton usée, effilochée, ouverte sur une camisole jaunie, tachée, d’un pantalon battant au vent, presque transparent aux genoux, ses chaussures éventrées mordant la légère pellicule de neige qui s’accumule paisiblement, l’homme fend la masse des passants. Le regard fixe, chargé de haine, il hurle, serrant les poings par secousses, déversant sur l’humanité entière la bile écumante de son irrépressible rage.

Il foncera ainsi, glapissant des heures durant sans jamais reprendre son souffle tant est puissante, insoutenable, la poussée du cri de ses entrailles torturées. Autour de lui des êtres anonymes, indifférents, aveugles à tout ce qui n’alimente pas la mesquinerie des soucis quotidiens, confirmation ignorante d’elle-même d’une conspiration universelle contre tout homme incapable de contenir sa douleur…


15 commentaires:

  1. Prose d'une grande qualité. Le haïku, lui, de qui est-il : Jésus ?

    RépondreSupprimer
  2. heu... le haïku qui n'en est pas un est du prosateur qui n'est pas davantage un messie !:)

    RépondreSupprimer
  3. Ah, autre chose Guillaume, ton commentaire m’aura finalement ouvert un nouvel horizon. Pour le haïku (que je ne connaissais que très vaguement), je croyais qu’il fallait absolument respecter le tercet de 5, 7 et 5 syllabes. Après avoir consulté ce site (assez complet sur la question, il me semble), j’ai réalisé que ce n’est pas nécessairement un absolu. Mon petit texte d’introduction pourrait donc effectivement s’en rapprocher, au moins par l’esprit. Mais il y manque quand même la subtilité caractéristique, la référence à la nature (elle ouvre le texte qui lui fait suite par contre)… Malgré tout, l’idée y est encore beaucoup trop explicite pour un haïku. En tout cas, merci pour cette piste (non mais y-en-a-tu des patentes tripantes à explorer quand on s’y met)!

    RépondreSupprimer
  4. Je pense que je suis un vrai délinquant du haïku. Je ne respecte ni le nombre de syllabes, ni l'aspect saison/nature de la chose. Pour moi, un haïku, c'est encapsuler l'éphémère. C'est n'être pas hypocrite, parfois on fait des longs poèmes avec très peu de substance, alors aussi bien s'exprimer succinctement quand on veut dire peu. Sur ce blogue, tu trouveras quantité de magnifiques haïkus.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi qui ne suis pas formaliste outre mesure (bien que ce soit toujours enrichissant de se frotter à des contraintes strictes, ne serait-ce que pour éprouver vraiment la richesse de formes qui ne se sont pas non plus imposées sans raisons – mais là-dessus, je ne t’apprends évidemment rien…), j’avoue que ton approche me rejoint totalement! (Et merci pour ce nouveau blog à découvrir.)

      Supprimer
  5. Quid de la villanelle? Malmenez-vous itou la structure de la villanelle? Iconoclastes. Vandales.

    Moi, mes haïkus, que cela reste entre nous, je me les fabrique à la machine.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Lousse avec la villanelle?
      Ah non! Entéka moi pas;
      On me couperait les ailes.

      J’hypothèquerais mon ciel,
      En dérogeant d’un chouïa.
      Lousse avec la villanelle?

      Méfiant des divins cartels,
      J’déconne pas avec ça;
      On me couperait les ailes.

      Baptisé "manche de pelle",
      Traité comme un renégat.
      Lousse avec la villanelle?
      On me couperait les ailes.


      (Pour les haïkus, je préfère encore mes propres générations automatiques, sans plugin… Mais s’ils ont le même machin qui génère automatiquement des revenus illimités, je prends!)

      Supprimer
  6. LYES!!!

    Savais que tu me sortirais kekchose et le savourais d'avance, mais que t'allais carrément torcher une villanelle drette de même moins de trois heures après mon comm, je l'avais pas vu venir! J'ai beau mettre la barre de plus en plus haut, tu jumpes toujours over: de toute beauté...

    Crissement weird, l'évidence que la villanelle est le modèle sur lequel s'est écrite et s'écrit toujours la chanson populaire, française et anglaise, depuis son origine quelque part durant l'entre-deux guerres. Tous les paroliers en sont tributaires sans le savoir, moi le premier qui l'ai réalisé aujourd'hui.

    Le machin à générer du fric sans fin ou du pognon sans fonds, je crois qu'il s'appelle fisc ou kekchose de même. Ché pas où tu peux le trouver parzemple, paraîtrait que c'est lui qui te trouve, or some sort of twisted shit like that, I'm not sure.

    Revenus illimités. T'en voudrais? Kesten ferais? Crisse de full time job, dépenser ça, sans même parler de les gérer. De quoi choker avant cinq ans. Écrire, oublie ça, peindre aussi, enfin si revenus illimités et artistes étaient compatibles, ça se saurait!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. :))

      (j’ai eu la même révélation que toi en concoctant ma "villanellienne" réponse… cette chantante familiarité…)

      revenus illimités, je me disais : ça doit être peinard, pas besoin de s’en occuper, c’est sans fond… mais t’as raison, inaccessible aux artistes - un peu trop vertigineux… vaut mieux laisser ça aux gens vraiment compétents, capables de réduire à néant même l’infini, pour être sûrs que ça balance…

      Supprimer
  7. reflet de la libellule
    la nuit tombe
    je suis de retour

    Amusant, ce haïku-tron ! C'est le seul que j'ai généré, et c'est ma foi superbe.

    RépondreSupprimer
  8. :-)

    D'abord je n'avais pas la moindre idée de ce que voulais dire villanelle mais j'avais aimé ta petite ritournelle, ensuite bien sûr pour ne pas mourir plus idiote que je ne le suis, j'ai cherché à savoir et ça m'a permis de comprendre tout comme toi et Christian que c'est le modèle sur lequel s'écrit la chanson populaire. Je me demande toujours d'ailleurs comme les choses naissent, qui et pourquoi l'odelette, le sonnet, l'épithalame, le madrigal, l'acrostiche, tout cela est fascinant!

    Quant aux revenus illimités, même si en soi ça peut faire rêver, surtout quand on tire le diable par la queue, je rejoins Christian, c'est pas un cadeau pour la créativité. Pas inaccessible mais incompatible avec la vie d'artiste. A croire qu'il faut avoir faim pour se dépasser et pour sortir de soi ce qu'on a à dire, à écrire, à peindre... Ton compte en banque toujours archi-plein quoique tu fasses, sans parler c'est vrai du temps que ça prend à dépenser, héhé, probable que ça ne mobilise pas les bonnes cellules du cerveau et qu'alors l'esprit s'engourdit vite! Ché pas, j'ai jamais eu l'occasion de l'expérimenter! :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah non là je réfute! Le fric est sans pouvoir face à la créativité vraie (Jodorowski glisse d’ailleurs un mot là-dessus, chez La Rouge). Dali et Picasso par exemple, et pour ne nommer que ceux-là, se sont avérés d’increvables créateurs aussi bien dans la dèche que pleins aux as…

      (Pour être tout à fait franc, avant de lire le commentaire de Mistral, la villanelle m’était totalement inconnue à moi aussi. Mais heureusement, gloire à Wiki!, j’ai pu mettre ma pause dîner à profit pour m’éduquer quelque peu et en tâter un brin…)

      Supprimer
  9. :-)

    Tu as raison, l'argent ne pourrit pas tout ni tout le monde jusqu'à la moelle! C'est le côté machin qui génère des revenus illimités qui paraît ne pas être compatible avec la créativité, comme si la richesse pouvait se fabriquer, je veux dire à notre insu. J'ai visionné" les Lyonnais", hier, un film sur cette bande de braqueurs de banque, artistes dans leur genre et... Au fond l'essentiel est ce qu'on fait de qui nous est donné... Si on a un talent, faut le faire fonctionner à fond, tout le reste suit...
    Bon, je ne suis pas bien claire, je le reconnais, ça se bouscule dans ma tête; Entéka, Wiki ou pas, t'as un sacré talent et ça aurait été dommage que tu ne le mettes pas en branle. Suis bien content que tu nous en fasses profiter!

    RépondreSupprimer
  10. Moi, j'aimerai bien m'attaquer en mot à cet image plus haut. J'adore le trait noir qui divise tout et qui redonne lumière aux couleurs. Le noir c'est la lumière. Superbe.

    RépondreSupprimer