mercredi 27 février 2013

Folle présomption


personne ne peut dire
que l’outrage et la barbarie
comme un voile plus grand que l’Histoire
ne font rage au dehors
là où les simples d’esprit bavent leur impuissance
là où les accents grandioses des sublimes discours
provoquent invariablement d’indicibles irritations d’estomac
non
personne ne peut dire
que les bornes de la modestie
ourlées du grondement qui fait exploser les âmes
ou même que les lèvres célestes de la crainte
s’élèvent de la même voix profonde
solennelle
que le blasphème et l’obscénité
de la dernière larme
essuyée
dans la honte de se savoir grand
si grand qu’une simple camisole de force
coffre-fort de l’inexprimable
éclipse la douleur et la grâce
écran de soie
faisant de soi
un néant
un trou béant

qu’est-ce que l’ouvrage d’une intelligence
appelée démence?



…en pensant (entre autres) à Antonin Artaud




mardi 19 février 2013

À l’origine de la cure du Docteur Fauteuil, il y a le Père Baril

« C’est sûr que les pauvres et les chômeurs adhèrent totalement à l’université. »

Qui aurait cru que certains défenseurs du projet « Nouvelle Cuisine-Nouveau Bœuf » iraient jusqu’à prétendre que le rêve de la plupart des gens d’ici était de fouler d’un pied flatteur une pelouse parfaite sous le regard ébaubi de la Juventus de Turin? Lors de la nomination, en avril dernier, du nouveau recteur de l’Université du Québec à La-Pointe-Au-Brochet, on aurait pu croire que la Révolution industrielle était inévitable. Deux semaines plus tard, lors d’une entrevue diffusée dans tout le village via satellite, par le réseau Câblo-Brochet, Monsieur Fernand Mollet, fille d’épicier méthodiste qui à la suite d’une opération plus chirurgicale que divine devint fils répudié et maintenant recteur de l’UQALPAB, déclarait : « C’est sûr que les pauvres et les chômeurs adhèrent totalement à l’université. »


Une enfance à l’eau de Vichy


Il en a coulé de l’eau sous les ponts depuis ce jour de 1962 où Adèle Mollet (née Brochu), traversant le pont couvert de La-Pointe-Au-Brochet en compagnie de Fernande, sa petite fille alors âgée de 8 ans, s’arrêta brusquement (« d’un coup sec! » nous racontera près de cinquante ans plus tard la petite fille devenue désormais un gros monsieur chauve), pour s’agenouiller devant sa petite fille qui hennissait d’un rire gêné et lui annoncer brutalement :  « Tu comprends ma petite? Hein, tu comprends que c’est pas toujours facile d’amener la pitoune au moulin? Ta maman, elle en peut plus, faut qu’elle aille voir le Père Baril. » On imagine sans peine la consternation de la frêle enfant aujourd’hui encore habité(e) par la vision de sa mère, les deux genoux dans la slotche, son pâle visage se détachant dans la pénombre du pont couvert, tendu par l’angoisse. Malgré sept longues années de malédiction sous la férule du Père Baril, Fernand Mollet est aujourd’hui le florissant recteur que l’on sait et, qui plus est, un ardent défenseur des vertus « quasiment miraculeuses », comme il l’affirmera lui-même, de la cure du Docteur Fauteuil, cure dont il fit la découverte un sombre après-midi de novembre 1965 par un hasard ahurissant, mais écoutons-le plutôt…
« Heureusement, elles se font de plus en plus rares. »

La chance le prend pour un matelas


« Parmi les idées qui me viennent le plus souvent, il y en a une au sujet des institutions qui me fut sans doute inspirée par mes douloureuses expériences au sein de la petite communauté dirigée par le Père Baril, à savoir : plus il y a de fous, moins ils rient. Cette découverte fut à ce point capitale dans ma vie qu‘encore aujourd’hui, lorsque je croise une bonne Sœur dans la rue, je tente invariablement de siffloter « L’Air des bijoux » en me mordillant une oreille. Heureusement, elles se font de plus en plus rares. Je sais bien que ça a l’air complètement idiot, comme ça, à vue de nez, et qu’un tas de gens n’y verront qu’un tissu d’énormités mais ce n’est rien, vous devriez me voir après deux grosses bières; je te vous enfile un de ces laïus sur le déclin de la polygamie christique comme havre privilégié d’une certaine Foi prétendument féminine, je vous dis pas…» 

Il racontera ensuite, avec toute la verve qu’on lui connaît, comment une inondation providentielle lui fit découvrir de quelle façon des milliers d’amnésiques avaient recouvré la vue grâce aux méthodes mirobolantes du Docteur Fauteuil. Mais aujourd’hui, les choses ne sont plus les mêmes à La-Pointe-Au-Brochet.
« Le spectre nous a rattrapés! »

L’architecte-ingénieur concepteur de la serre intellectuelle surchauffée


« Le spectre nous a rattrapés! », tels furent les premiers mots de la Mairesse à l’annonce de la nomination surprise de Fernand Mollet à la rectoration, à la rectitude, bref au Rectorat de l’Université. L’immense chemin de terre en fer à cheval menant de la route à la route en passant par la somptueuse demeure de la Mairesse, Madame Vera Rinfrette, était en ce jour étincelant de pluie, encombré des nombreux véhicules des notables de la petite (ou gros) ville (ou village), notables par ailleurs, et assez curieusement, moins nombreux que leurs véhicules. Une joie décadente liée au déclin des lumières de l’Histoire barbouillait les visages (qui bovin, qui rougeaud) et c’est dans cette ambiance d’apogée austro-hongroise que les jets d’eau d’une fontaine tombée là par hasard jaillirent dans l’œil interloqué de la municipalité.

Amenée à trancher sur la « souhaitabilité » (sic) de maintenir en poste Monsieur Mollet, célèbre dans tout le village pour sa défense enthousiaste des vertus thérapeutiques de la cure bien connue du non moins Docteur Fauteuil, la Mairesse consulta publiquement Orson Cotten, autorité municipale en matière d’éthique académique et de monuments tape-à-l’œil, qui s’exprima (en substance) en ces termes : « Il est prévu dans le texte du Traité de neutralité que les jets d’eau arrivent à peine à dissimuler le désarroi. »

« Une impression d’irréalité qui, il y a à peine quelques années, aurait été impensable... »

Un mandat difficile certes, mais un beau défi


Déchirée par un conflit dont l’origine autant que la portée lui échappe manifestement, la population de La-Pointe-Au-Brochet se tourne désormais vers ses façades remplies d’urnes, de guirlandes, de figurines et de vidanges. « Une impression d’irréalité qui, il y a à peine quelques années, aurait été impensable devrait commencer cet automne », de conclure Monsieur Mollet, l’œil flamboyant et l’extincteur à la main.

vendredi 15 février 2013

Illumination à la petite semaine


Par la fenêtre, j’aperçois un vieil homme sur le trottoir d’en face, front pensif, regard perçant. Il fixe l’azur. Statufié par la profondeur de son interrogation. Et brusquement, une révélation l’extasie!

(Mais non. Il vient juste d’arriver enfin à déchiffrer les foutues indications sur un panneau de stationnement…)

mercredi 13 février 2013

Tite zique du mercredi soir…

Juste comme ça, pour le plaisir… un texte de chanson atypique, tout en étant typiquement gainsbourgien :

Un poison violent, c’est ça l’amour

- Qu'est-ce autre chose que la vie des sens, qu'un mouvement alternatif qui va de l'appétit au dégoût et du dégoût à l'appétit, de l'appétit au dégoût et du dégoût à l'appétit...
- J'm'en fous!
- Ta gueule, laisse-moi finir! L'âme flottant toujours incertaine entre l'ardeur qui se renouvelle, l'ardeur qui se renouvelle et l'ardeur qui se ralentit, l'ardeur qui se renouvelle et l'ardeur qui se ralentit...
- Ah! j'm'en fous!
- Mais dans ce mouvement perpétuel, de l'appétit au dégoût, de l'appétit au dégoût et du dégoût à l'appétit, on ne laisse pas de se divertir par l'image d'une liberté errante. Tu sais de qui c'est? non? Bossuet.
- Bravo! Tu veux une oraison funèbre?
- Ah non! Parce que moi je suis assez cynique pour en faire ma ligne de conduite.
- Oh! T'es dégueulasse ! dégueulasse mon vieux!
- Ouais, ouais! un peu amnésique sur les bords, hein. Voilà où ça mène.

Un poison violent, c'est ça l'amour
Un truc à n'pas dépasser la dose
C'est comme en bagnole
Au compteur 180
À la borne 190
Effusion de sang

- Voilà j'te donne un conseil. Tu tiens à ta peau : laisse tomber!
- Je cours après une ombre, tu vois. Et c'est même pas la mienne. Encore elle serait sur les colonnes Morris, tu pourrais l'attendre à l'entrée des artistes. Mais elle est insaisissable. Où veux-tu que j'la trouve?
- Ah mon p'tit Armstrong Jones y fallait pas faire d'la photographie.
- Oh toi t'es écoeurant. On n'peut pas discuter avec toi. Tu prends tout à la blague.
- Ah erreur! erreur justement! Un de ces quatre tu verras : tu m'rendras raison. Écoute :

Quand tu en auras marre
J'ai une petite pour toi
Complètement demeurée
Mais tellement esthétique

- Oh te fatigue pas va! Allez salut!

La version originale, interprétée par Gainsbourg et Brialy donne ceci :
http://www.ina.fr/divertissement/chansons/video/I05231300/duo-serge-gainsbourg-jean-claude-brialy-un-poison-violent-c-est-ca-l-amour.fr.html

Eszter Balint la reprend sur un album de la série « Great Jewish Music » et là ça prend une certaine noirceur ironique un peu plus appuyée; le texte, tronqué, devient un curieux soliloque. 
(Et, je sais pas pourquoi, mais quand elle dit : « Ah erreur, erreur justement », à tous les coups je me dis que j’aurais pas pu ne pas reconnaître Gainsbourg…)




Et puis, pour finir, petite version « déconstructive » (on va dire) en spectacle, où le texte est à peu près disparu - mais on l’entend encore, c’est plus fort que nous : c’est ça l’amour…




samedi 9 février 2013

à première vue


la fascination théorique a pour mission le désinvestissement irrévocable de la fluide économie de l’enfance au profit d’une parenthèse-fantasme syntaxique



mercredi 6 février 2013

Bilan provisoire

Nous ne sommes arrivés nulle part encore. Avons-nous seulement appris l'impossible d'une nuit tombante? Avons-nous seulement reconnu la voix millénaire de la distance? Avons-nous seulement saisi la lueur fugitive d'un clin d’œil à ciel ouvert? Finalement, sommes-nous jamais partis?



samedi 2 février 2013

Does Virginia Woolf ever smell like teen spirit?


Blue a récemment partagé un extrait d’une lecture de Virginia Woolf par Patti Smith qui ne pouvait que me prendre aux tripes. D’abord parce que la singularité et l’intégrité de l’œuvre de Virginia Woolf en font une artiste absolument hors normes. (Ce qui n’empêche que ses livres me restent encore passablement hermétiques. Je n’en ai lu que deux, à vrai dire, outre son journal. Mais ce dernier dresse un tel portrait de son entreprise littéraire – intellectuelle devrais-je dire, ou même de vie, puisque justement son journal dévoile son impossibilité d’être autrement qu’entièrement plongée dans une démarche d’écriture en constante évolution et dont la finalité la dépasse et l’emporte, la possède jusqu’à l’obsession dévastatrice – son journal dis-je, dresse un portrait extrêmement troublant d’un engagement créateur fiévreux, voire délirant – bien que porté par une rigueur, une cohérence tout à fait exceptionnelles – qui a mené à un raffinement des techniques narratives d’une fécondité qu’on est encore loin d’avoir épuisée, me semble-t-il.) Mais à l’origine de mon émoi, il y avait surtout la présence et la voix uniques de Patti Smith, autre artiste monumentale à l’authenticité infiniment inspirante pour moi, sans parler bien sûr d’une luxuriance langagière pour le moins inattendue dans l’environnement musical d’où elle a émergé. Ce qui m’amène à l’interprétation.

C’est toujours fascinant de voir comment un artiste s’approprie l’univers d’un autre. Et la manière dont c’est fait illustre à quel point le sens ainsi donné au mot « appropriation » est révélateur de la source profonde de son art. (J’écarte évidemment tous les opportunistes qui tentent de faire leur le succès d’un autre pour en compter au moins un à leur tour…) On se dit que, forcément, plus un artiste se distingue, plus son art est singulier, plus son interprétation d’une œuvre, quel qu’en soit l’auteur, s’écartera de l’œuvre originale pour s’approcher de la sienne propre, au point de s’y confondre. Et c’est souvent le cas en effet, pour notre plus grand bonheur. Mais là où ça devient sublime, c’est quand l’écart apparemment abyssal entre l’œuvre originale et son interprétation en révèle paradoxalement une dimension fondamentale qui nous avait jusque-là échappé.

Et c’est précisément à Patti Smith que je dois l’exemple le plus remarquable (à mon oreille) de ce phénomène rarissime. Sur l’album « Twelve » (2007), entièrement consacré à des reprises, elle nous fait notamment entendre un Kurt Cobain que nul avant elle je crois, n’avait aussi finement perçu. Et voilà ce que ça donne :



Pour ceux qui ne la connaissent pas, j’ajoute ceci (datant de 1979) - la qualité est un peu atroce, mais c'est pour que vous ayez une petite idée d’où elle vient :