dimanche 26 janvier 2014

L’insoluble énigme des inconciliables beautés

























le peintre
le jeu ancien des ressemblances
un visage tracé dans la poussière
migrations
invasions
progrès
éluder l’insoluble énigme
des inconciliables beautés
poésie
sous les mots parfois
des gestes
plus rarement
des pensées
des motifs d’appartenance
un savoir fixe et figé
par une langue mouvante
trop souvent
un simple effet
de la réalité
le peintre
le jeu ancien des ressemblances
un visage tracé dans la poussière

jeudi 23 janvier 2014

Blue me demande l’importance de l’art dans ma vie…

… à l’occasion d’une note collective. Devant la vastitude du sujet, j’ai finalement choisi de faire court. Voici donc ma très (trop?) brève réponse :


C’est la meilleure voix (voie) que je me suis trouvée depuis

longtemps déjà… et je persiste.

 
malgré l’obscurité
j’entends le cri perçant
d’une langue pointue
pleine du lointain
de l’agonie qui s’ennuie

Ne rien faire d’autre, malgré la nature inintelligible de l’extravagance, que de discourir dans n’importe quelle langue, à même l’innocence des révélations équivoques.

D’autres auront la flamme factice et fumeuse du désir pitoyablement jeté dans l’improbable soupir d’un lendemain aphone.

samedi 18 janvier 2014

Ce petit Rien : en attendant le film, l'histoire de l'affiche... (3ième, et dernière, partie)

Oui bon, de mon point de vue évidemment, ça paraissait énorme comme aveu. Mais il faut bien comprendre ce que ça signifie de se lancer dans une aventure comme celle entreprise par Laure. Et aussi l’intensité qu’elle y met, le degré d’investissement personnel qui caractérise ses projets, qui fait qu’en voyant le résultat, on reconnaît instantanément le regard unique de Laure K. Les affres de la création étant donc ce qu’elles sont, j’imaginai sans peine que Laure puisse à ce point être absorbée par divers questionnements – et mille autres occupations et préoccupations – bref, que son propre point de vue l’envahisse jusqu’à en obnubiler toute conscience du fait que je n’étais manifestement ni devin ni voyant.

Elle complétait sa réponse, pour m’aider un peu sans me dire trop ouvertement que j’étais une fois de plus à côté de la plaque, en me donnant des précisions sur le sujet du film, agrémentées de quelques images supplémentaires qui en avaient été extraites, le tout accompagné d’indications précieuses pour que j’en saisisse mieux le ton.

Et là, je ne pus que réaliser, barnak, que ma première intuition avait été la bonne! Qu’il y avait bel et bien de la tourmente dans l’air, à tel point que mon petit piaf sifflotant s’avérait en fait d’une incongruité qui frôlait carrément l’irrévérence. Bon, ça faisait tout de même un petit moment que je m’excitais tout seul dans mon coin comme un demeuré à jouer aux devinettes picturales… je n’allais quand même pas remettre ça un autre coup, non? Si!

Ou plutôt : oui et non. Incapable de me résoudre à jeter définitivement l’éponge, je puisai dans ma réserve des images qui me semblaient plus ou moins coller avec les dernières indications de Laure et lui envoyai illico trois nouvelles propositions. Saluant ma promptitude, elle accusa réception en me précisant qu’elle repartait dans les bois. Bon... 

Passèrent les semaines… Pas de nouvelles…

Bonne nouvelle? Jour de la marmotte?

Je me trouvai tout de même un peu comique quand je repensai au remue-ménage que je m’étais infligé (ainsi qu’à ma blonde), il y avait maintenant près de deux mois et demi, tout ça par empressement à répondre à une invitation qui certes n’était pas si pressante, mais que je ne voulais pas décevoir, qui m’emballait franchement. Pour être emballé, je l’étais, eh ballot!

Nous progressions tout de même, malgré des allures d’éternel recommencement, grâce à des itérations jusque-là peu fécondes, mais dont la dernière fut décisive. Ce long délai s'avéra donc typiquement suivi d’une réponse où il apparaissait clairement qu’une fois de plus, ça ne collait pas vraiment. Ce coup-là, Laure, à bout de ressources me semblât-il, se résolut à me faire voir le film, en me proposant de tout reprendre à zéro…

Ouf! Le film! Que je vous dise d’abord que le clip que j’avais imaginé être tiré du film ne l’était pas le moins du monde – manifestement tourné au même moment, mais pour ce qui est du ton et du propos : aucun rapport, sinon antithétique, plutôt un excédant réutilisé ailleurs et autrement… Quant au fameux plan à la source de tout ce processus, il n’avait pas du tout été filmé là où je l’avais imaginé et, surtout, n’avait absolument pas le sens que je lui prêtais depuis le début. (J’ai également appris par la suite qu’il avait été coupé au montage final.)

L’absurde cruauté, si involontaire qu'elle fût, de cette interminable charade me cingla la face dès que je fus confronté à ce qui ne pouvait que m’échapper depuis le début (et si évident pourtant)! Je ne sais pas quand ce sera possible, mais quand vous verrez le film, vous comprendrez. En même temps, c’était tellement prenant que, dès les premières secondes, mes futiles frustrations d’affichiste de fortune ne purent qu’instantanément se dissiper. C’est très court comme film, tout juste six minutes. Mais ces six minutes-là, elles vous passent à travers le corps pour s’incruster à jamais dans votre esprit… Six minutes à haute densité.

C’est seulement après coup que tout ce non-sens s’est insinué en moi comme un lent poison, pour finalement me mettre littéralement hors de moi. Parce que là, franchement, reprendre tout à zéro? Après tous ces efforts, ces emportements à vide, ces coups d’épée dans l’eau… Sachant ce que j’en aurais tiré si j’avais simplement pu voir le film dès le départ! Osti là non! Fuck you Laure K., torche-la toi-même ta câlisse d’affiche! (Oui heu… je synthétise quelque peu abruptement la réponse que je lui fis, mais pour l’essentiel, c’était quand même pas mal ça le message…)

Mais je gardais tout de même un profond regret d’en être réduit à ce pitoyable désistement. Ayant vu le film, je ne pouvais me sortir de la tête que cette affiche-là, la mienne, si ratée qu’elle pût être, je devais à Blue d’avoir tout essayé pour la lui offrir. D’autant plus que ça avait été plus fort que moi, je l’avais vue l’image porteuse du sens profond de ce film bouleversant! (Et ce n’était effectivement pas celle que m’avait envoyée Laure au départ.) Ne pouvant résister, j’ai tout de même esquissé l’affiche que j’aurais faite si j’en avais eu la chance – je n’avais plus l’énergie ni l’enthousiasme pour fignoler, mais il fallait au moins que je jette sur le papier l’idée brute. Et voyant le résultat, je l’ai tout de même envoyé à Blue… qui l’a transmis à Laure… qui l'a finalement accueilli positivement

Voici donc l’aboutissement (hâtivement griffonné) de cette interminable maïeutique :



Épilogue

Et, franchement, avec le recul, je me questionne. Aurais-je eu cette vision sans tout ce qui l’a précédée? Le résultat aurait-il été plus juste, plus parlant si j’avais vu le film dès le départ? Je n’en suis plus si sûr maintenant… La construction d’une image participe d’un ensemble insaisissable de tensions, d’influences, de mouvements intérieurs à la fois subtils et criants.

En fait, bien que ce ne fut nullement délibéré et sous une forme quelque peu travestie – mais non moins véritable, Laure m’aura fait vivre l’expérience du kōan. Elle m’en a taillé un sur mesure. Et de ça, je lui suis profondément reconnaissant. (C’est d’ailleurs, à  mon sens, une expérience où questionneur et questionné fusionnent inévitablement dans la réponse, quelle qu’elle se révèle en fin de compte.) C’est pourquoi cette image en filigrane, l’imparable déclencheur, avec ses hasardeuses déclinaisons, j’ai voulu qu’elle ne disparaisse pas tout à fait. Je tenais à la dévoiler, pour que l’affiche soit lue pour ce qu’elle est : un palimpseste. (Ce qu’est tout autant Ce petit Rien.)

Au final, j’en arrive à remercier Laure de m’avoir mis, bien malgré elle, dans cet état qui ne m’a pas permis de cogiter, de ciseler, bref de maîtriser le résultat final, qui m’aura plutôt été arraché, sans que j’aie eu moi-même le temps d’en saisir toute la portée. Portée qui, bien sûr, ne vous sera entièrement intelligible que lorsque vous verrez ce petit film d’une rare intensité. Bientôt, je l’espère, mais ce bout-là est évidemment tout à fait hors de mon contrôle...

dimanche 12 janvier 2014

Ce petit Rien : en attendant le film, l'histoire de l'affiche... (2ième partie)

C’était même ce qui m’avait fait un peu hésiter avant de l’envoyer, cet austère visage… J’espérais juste qu’on ne verrait pas que ça et, surtout, que ça collait avec le ton du film. Mais ne l’ayant pas vu… À ce propos, je me suis souvenu de ce petit clip, ma foi plutôt guilleret, et je me suis dit que c’était certainement extrait du film. Puisque Laure semblait, en parlant de douceur, me confirmer que les affres intérieures n’étaient pas au menu, j’y allai tout de go pour autre chose qui serait plus dépouillé, plus serein.

Ça tombait bien d’ailleurs, en un sens, puisqu’il se trouvait que ma petite tourmente personnelle avait entre-temps trouvé une issue inattendue et qu’un grand calme m’habitait – je me prenais même à rigoler tout seul sans raison apparente (non, non, soyez sans crainte, mon équilibre mental n’était nullement menacé). Ce nouvel état d’esprit attira mon attention sur un très subtil sourire, presque imperceptible, plutôt intérieur en fait, que je perçus clairement sur le visage d’une Blue devenue alors, comme par enchantement, madone contemplative.

Me dégageant encore davantage du souci de reproduire les traits, je m’efforçai ce coup-là d’en extraire ce qui m’apparaissait un peu comme la résultante des luttes intimes évoquées dans la version précédente. Un genre de paisible révélation, souriante épiphanie, satori de fin d’après-midi, appelez ça comme vous voudrez. En tout cas, il fallait que ce soit léger, harmonieux, épuré.

Ce qui donna ceci :



Il est aussi arrivé une autre chose significative à mes yeux en cours d’élaboration de cette nouvelle version. J’avais circonscrit ma surface de travail de façon à respecter (plus ou moins) les proportions de l’image extraite du film. Il y avait donc une petite bande blanche dans le haut (le bas, lui, se perdait dans le blanc, à l’infini) que je m’efforçais de garder relativement vierge, mais sans me soucier non plus outre mesure de déborder à l’occasion (il me suffirait après tout de repasser au blanc ou de recadrer plus tard). Et voilà qu’au moment où je prenais un peu de recul (en sifflotant), je m’avisai que ce qui m’était d’abord apparu comme un léger coup de pinceau échappé en marge, était en fait un piaf venu se poser là pour se joindre en contrepoint à la timide mélodie que j’ébauchais. Faisant écho au titre du film, voilà que se révélait enfin à moi ce petit rien qui, jusque là, m’avait totalement échappé! La petite mélodie intérieure…

J’ajoutai donc cette variante :



Et sans plus attendre, je fis parvenir ces nouvelles propositions à Laure, convaincu que cette fois, le ton y était!

Pour réaliser aussitôt qu’elle était en balade

Bon, y a pas le feu au lac non plus, me dis-je; elle verrait ça au retour. Et, effectivement, aussitôt rentrée, elle ne manqua pas de me répondre qu’elle avait bien reçu le tout et me reviendrait là-dessus dans quelques jours.

Quelques jours qui devinrent une semaine, puis au bout d’une dizaine de jours, force me fut de constater que mes petits essais n’avait manifestement pas suscité chez elle un enthousiasme délirant… Imaginant un éventuel malaise, je lui écrivis pour savoir où elle en était. Finalement, vacances et multiples tâches m’avaient quelque peu éjecté de son esprit, tout simplement. Rien que de très naturel en somme… Sans s’avancer sur mes dernières propositions, Laure estimait finalement utile de m’en dire un peu plus sur sa vision du film, ses attentes à mon endroit, etc. Entre autres choses, elle précisait ce détail (ce petit rien, dirais-je) concernant l’image qu’elle m’avait d’abord envoyée – le seul élément auquel je pouvais me raccrocher en fait, outre l’infinité de choses que je pouvais imaginer à l’idée d’un film de Laure K. consacré à Blue :

Je crois que je ne pouvais pas me détacher de cette image que je t'ai envoyée et pourtant, je souhaitais que toi tu le puisses.

De que quoi? J’y avais collé autant que j’avais pu, ma seule bouée dans cet océan de doutes… et il aurait fallu que je m’en détache? Et que je devine qu’il le fallait??? Osti…

(à suivre)

samedi 4 janvier 2014

Ce petit Rien : en attendant le film, l'histoire de l'affiche... (1ère partie)

Alors qu’elle en était à peaufiner son film consacré à Blue, Laure K. m’a fait parvenir une sympathique invitation, accompagnée de cette image :


Elle était tombée en arrêt devant ce plan, me disait-elle. Ça pourrait être l’affiche. Elle s’était dit que ça devait pouvoir m’inspirer : libre à moi, si j’avais 5 minutes! Son idée était de voir ce que j’en tirerais avant même d’avoir vu le film et en ignorant tout de son propos (Laure K. filmant Blue, voilà qui ouvrait certes de vastes horizons à l’imagination). Pari un peu casse-gueule sans doute, mais justement…

Tu parles si ça m’a inspiré! Pour les 5 minutes là par contre… si ça ne devait me demander que ça, je me demande bien moi-même quel genre de « outer space man » je serais… – d’ailleurs, pour être tout à fait franc, côté temps, il se trouve que j’étais effectivement assez limité au moment de cette invitation. Mais voilà qu’outre ceci, c’était le total capharnaüm dans la zone de création dont j’étais censé disposer : pas d’atelier, pas même d’installation de fortune pour peindre ou dessiner. Il ne me restait guère, pour tout dire, qu’un coin musique manifestement inspiré du best seller (à venir) : « L’homme-orchestre qui composait dans un placard ». Fi de ces peccadilles, je n’allais quand même pas rater cette occasion non plus! Trouverai bien le temps, de soir, de nuit, on s’en fout, me dis-je; y aura qu’à dégager un coin ici ou là et hop! Je m’y mis donc sans plus tarder.

Il y avait aussi autre chose qui me tarabustait un tantinet. Vous avez vu la tête que j’ai concoctée à Gainsbourg (qui n’avait vraiment pas besoin de ça). Le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne suis pas exactement portraitiste… Je sais bien que l’idée, ici, n’était pas de reproduire fidèlement et que c’est l’ensemble de cette image qui avait accroché Laure, mais quand même. Prendre des libertés avec la tête de célébrités ou de parfaits inconnus, c’est une chose, mais Blue je la connais, je l’apprécie, je voulais lui rendre justice, au moins un minimum. Petite pression là donc… Bon, allez, de toute façon je plongeai; on verrait bien ce que ça allait donner.

Mobilisation de la seule table dont nous disposions – on bouffera sur nos genoux, ou sur un petit coin restant, s’il y en a (mais gaffe à pas éclabousser mes ébauches!).


Autre élément contextuel qui mérite sans doute d’être précisé (parce que la création, contrairement à certaines affabulations persistantes, n’est pas plus désincarnée qu’étanche aux soucis les plus prosaïques) : il se trouve qu’outre le chaos de mon modeste intérieur, je vivais alors, aussi, un petit maelström personnel et professionnel; bref, de titillantes cogitations existentielles m’habitaient, faisant même un raffut d’enfer si je faisais mine de les ignorer. Avec pour conséquence que la première chose qui me frappa dans l’image envoyée par Laure K. fut la concentration de Blue, qui donnait une inhabituelle austérité à son visage, généralement beaucoup plus rieur et serein. La scène, je n’en doutais pas, avait été filmée lors de la visite d’un atelier d’artiste. Conscient de l’engagement profond caractéristique de sa manière d’aborder l’art, tout de suite je focalisai sur cette idée d’une espèce de combat intérieur, avivé par l’œuvre que Blue fixait si intensément, mais que nous spectateurs ne voyions pas, sinon à travers ce visage justement. Sans vraiment le réaliser, je peignis le tout un peu à la manière des expressionnistes allemands :


La ressemblance en avait forcément pâti; les proportions, la forme du visage s’en étaient trouvées quelque peu distordues. Mais là, j’étais davantage dans mon élément : traduire l’intériorité plutôt que reproduire les traits. Blue demeurait relativement identifiable, du moins je l’espérais, mais sans plus. J’aimais bien ce que ça disait comme image. Sans trop savoir par contre si ça avait un lien quelconque avec le film et, aussi, en espérant que Blue ne me tiendrait pas trop rigueur de la tête que je lui avais faite… Normalement, je prends un certain recul avant de partager mes créations, le temps de vraiment me les approprier moi-même (c’est une des beautés de la chose : ce qui émerge de nous nous échappe toujours un peu – parfois même beaucoup…). Mais là, dans les circonstances, je préférai ne pas traîner et j’envoyai le tout à Laure sans plus attendre. Qui me répondit, pour l’essentiel, ceci :

…je ne sais pas trop quoi en penser parce que c'est extrêmement proche de mon image... peut-être que j'imaginais autre chose, mais comme tu n'as pas vu le film... disons que le visage de Blue me parait très dur dans les traits alors que le film est plutôt doux avec le visage.

Et franchement, pour la dureté, j’étais bien d’accord avec elle.

(À suivre…)