samedi 28 septembre 2013

Sylvia au bout du rouleau ivre (des fois c’est cool aussi d’être dans les patates)


Tout le monde n’est pas comme ça, assurément, mais beaucoup d’entre nous, une bonne majorité je crois bien, ont tendance à souhaiter que les choses se passent comme prévu, qu’elles soient au plus près de ce qu’ils les avaient souhaitées. Outre que ça n’arrive à peu près jamais, à moins d’avoir cette plate propension à ne vouloir que le plus prévisible, c’est une erreur. D’abord, c’est assez présomptueux. Quoi, la vie n’aurait rien de mieux à nous offrir que ce que notre pauvre imagination nous suggère? Ensuite, et plus prosaïquement, l’attente, la prolongation du désir donnent à sa satisfaction une intensité d’autant plus grande. Élémentaire constatation certes, mais constamment battue en brèche par le désir lui-même, toujours furieusement pressé de s’anéantir dans la fugace béatitude d’être comblé.

Tout ça pour dire que je suis de ceux qui se jouent constamment des tours à eux-mêmes, se créent perpétuellement, sans s’en rendre compte, les plus invraisemblables obstacles. Et j’ai réalisé récemment que je m’étais encore fait le coup, avec un livre de Mistral. Pour une raison qui me reste assez nébuleuse, je m’étais imaginé que Sylvia au bout du rouleau ivre était une de ces raretés, vous savez, ces livres exceptionnels qui pour toutes sortes de raisons ne sont pas réédités. En fait, c’est ce que l’employé de la librairie où je l’avais commandé m’avait affirmé : aaah, heeeeu… désolé, celui-là n’est plus disponible. Moi qui brûlais pourtant de le lire depuis que j’en avais appris l’existence je ne sais plus trop où ni comment, des années auparavant en tout cas, je n’ai pas pris la peine de vérifier alors que le gars ne me semblait quand même pas super dégourdi question pitonnage au moment de prendre ma commande… Non, fidèle à moi-même, je me suis plutôt imaginé, après des années d’une quête aussi pugnace que désespérée, tombant enfin dessus par chance, miracle ou bénédiction. Alors que tout ce temps, il était à portée de main, disponible chez le libraire le plus près de chez moi… heu… pas vraiment… disons : le plus près ET capable de passer une osti de commande comme du monde!!!

Bref, chose du passé que tout ceci, là ça y est, je l’ai eu, je l’ai lu et j’ai pas été déçu!

Bien au contraire. Et je me félicite même d’avoir été tout ce temps dans les patates. De n’avoir connu le bonheur de lire ce livre-là qu’à ce moment-ci. En 2001, au moment de sa parution en volume, à coup sûr, je n’en aurais pas apprécié toute la finesse (je vous raconterai peut-être un jour dans quoi je pataugeais à ce moment-là). Encore moins lors de sa première publication en revue, en 1988 ou dans ces eaux-là… D’ailleurs, vous imaginerez sans peine, à la lumière de ce qui précède, ma jubilation en constatant qu’il s’ouvrait sur cette citation de Gabriel Marcel :

Nous employons constamment dans la vie courante le verbe « se tourmenter », sans d’ailleurs suffisamment prendre garde à tout ce qu’implique ici la forme pronominale; car « se tourmenter » c’est vraiment être son propre tortionnaire. En réalité, rien n’est plus important que de s’interroger sur ce paradoxe, c’est-à-dire de se demander comment il peut se faire que nous devenions dans certains cas – et cela de la façon la plus active – notre propre ennemi. Cette possibilité ne peut être qu’enracinée profondément dans notre structure.

À ceux qui ne l’ont pas lue, je ne dirai rien du propos de cette remarquable novella; je vous invite plutôt à en faire vous-mêmes la découverte. Sachez simplement que c’est une œuvre de jeunesse, écrite en un mois, à l’âge de 21 ans. Évidemment Mistral est un précoce, on le sait, mais considérant le chemin parcouru de Vamp à Léon, Coco et Mulligan notamment, c’est sûr qu’en ne la découvrant qu’aujourd’hui, mon intérêt premier relevait plutôt d’une curiosité à l’égard de son parcours, de la genèse de son œuvre; c’était pour moi une sorte de complément à Origines

Dans les patates, encore une fois! Le style, l’éblouissante maîtrise de l’écriture y étaient déjà à un degré auquel je ne m’attendais pas (oui, bon, j’imagine bien qu’entre le texte original de 1985 et la version de 2001, il a quand même dû y avoir quelques retouches), mais il y avait plus… Passé l’entrée en matière – épisode fortement onirique sur fond carcéral, toute trace de romantisme post-adolescent s’est rapidement dissipée pour céder la place à un récit vif et puissant, nourri d’une profondeur et d’une maturité qui, en y repensant après coup, me laisse totalement ébaubi. Je vous en mets juste un petit bout, pour vous donner une idée :

On passe la moitié de son temps à pécher et l’autre à quêter l’absolution. Le péché de l’homme contre sa propre intégrité est pourtant le seul vrai péché, immuable, universel. Et le pardon n’est pourtant pas de ce monde, qui fait appel à des concepts étrangers à notre nature; il est déjà un péché contre l’intégrité. Inventer Dieu, dans ces conditions, était très malin. Quant aux êtres d’exception qui apprennent, au prix d’une rigoureuse discipline de l’esprit et de l’anéantissement systématique de tout ce qui relève de la conscience morale, à se gracier eux-mêmes, ils n’ont rien de plus pressé que d’assassiner Dieu, qui coûte trop cher à nourrir quand il ne sert à rien.

Ouf!

samedi 21 septembre 2013

L'épreuve du temps

L’enracinement est long. Tout ce temps la croissance est ingrate. Pénible.
L’épanouissement rencontre la maturité. Solidement.

L’éclat éblouissant d’une fertilité précoce. Emportée à la
première
bourrasque.

dimanche 15 septembre 2013

La dictature de l'œil

























Il y a dans la fixité de l’image toute la perversion de l’œil dominateur. Fixer le réel, c’est nier la précarité où son être cherche péniblement à prendre corps.

au premier plan
la mort de tout ce qui bouge
l’emprisonnement de tout ce qui par sa vie même
menace la vie du regard

Pourtant, il suffit d’une main comme flottante, absurdement rattachée à la limite soudain arbitraire de l’image pour que jaillisse le trouble, l’insatisfaction de l’œil chancelant maintenant, ivre de ce qui lui échappe.

à l’arrière-plan
le vertige
une simple trace
le point par où la vie
s’enfuit

samedi 7 septembre 2013

La mince frontière entre expressionnisme et nombrilisme

En art, s’exprimer ne veut rien dire, seule compte la création d’un monde où l’on puisse entrer...