samedi 5 avril 2014

La fois où j’ai vu rouge

(Pastiche : un Québécois qui essaye d’écrire comme Djian à l’époque où ce dernier écrivait lui-même comme le traducteur de Bukowski…)
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On devait être un mardi. En tout cas, rien n’interdit de le supposer. Donc, mardi. Je m’étais levé un peu plus tard que d’habitude vu que la veille… Enfin, peu importe la veille, il était près d’une heure lorsque j’ai ouvert l’œil. Un seul. Je n’ai ouvert qu’un seul œil et tout de suite ça m’a fait mal. Un poignard à la lame rouillée qu’on me tortillait au-dessus du sourcil droit.

Je me suis traîné jusqu’à la salle de bain. Débâcle. Ça allait un peu mieux. J’étais trempé de sueur, pâle comme un linge, mais ça allait.

Le café me brûlait gentiment l’estomac et je me répétais : mardi, mardi, mardi, mardi, mardi, mardi… Merde! MARDI! Quelle heure peut-il bien être? Une heure trente-huit. Merde! J’avais rendez-vous à DIX HEURES TRENTE avec un type de l’assurance chômage. Meeeerde…

Retour aux cabinets.

On choisit précisément ce moment-là pour sonner à ma porte. Qu’il (ou elle) aille se faire foutre. Il (ou elle) insiste. Enculé(e)! J’expédie le boulot et me dirige, furibard, vers la porte, traînant à ma suite un de ces relents…

- QU’EST-CE QUE C’EST? (J’ai ouvert en hurlant. Deux policiers en uniformes se tiennent là, mentons arrogants pointés vers moi.)
- Vous êtes bien Jobidon Marcel, habitant au 8590 Mongrain?
- Non.
- Vous n’habitez pas ici?
- Oui
- Et bien, alors?
- Alors quoi?
- Vous êtes Jobidon Marcel!
- Bon. Et après?
- La dame qui habite en face a retrouvé son chien, ce matin, abattu d’un coup de batte de baseball. Elle affirme que vous avez fait le coup. Où étiez-vous entre onze heures hier soir et quatre heures ce matin, monsieur Jobidon?
- Est-ce que vous vous foutez de moi?
- Voulez-vous répondre à ma question je vous prie…
- D’accord, je vous réponds. Mais c’est bien parce qu… Peu importe pourquoi. J’étais chez moi, occupé à assassiner à petit feu une bouteille de whisky, et en quoi est-ce que ça vous regarde, je vous prie?
- Quelqu’un peut-il en témoigner?
- Ne comptez pas sur le whisky en tout cas… Bon. J’ai assez perdu de temps avec vos conneries. Allez faire joujou plus loin et laissez les grandes personnes tranquilles. (Et sur ce - vlan! - je claque la porte.)

Sonnerie. Resonnerie. Reresonnerie.

Conneries.

- Vous désirez quelque chose? (Susurrai-je.)
- Ne crois pas t’en tirer si facilement Jobidon. Je crois bien qu’on va suivre de près tes petites affaires…
- C’est ça. Ne vous gênez pas. Et si vous êtes amateurs de musique de chambre, vous pouvez toujours foutre des micros dans mes chiottes. Maintenant, bon vent!

Revlan! Pour de bon cette fois.

Cette foutue connasse… Un de ces quatre matins, c’est ses fausses dents que je vais lui faire valser à coups de pied au cul.

Je m’ouvre une bière, histoire de me calmer un peu. Qu’est-ce que je vais raconter à cet enfoiré du bureau de chômage?

Je me fume un pétard, histoire de me donner des idées. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter au taré du bureau de chômage?

Une autre bière.

Un autre pétard.

Évanoui le mal de crâne…

J’étais là, me répétant inlassablement la même question. Pas la moindre idée. Rien.

Puis, sans transition, j’étais devant ma machine à écrire. J’écrivais. Un long poème où il était question d’un type, un psychothérapeute qui, à force de fixer des taches d’encre qui déclenchaient chez une patiente (une fillette d’à peine dix ans) de violentes crises d’épilepsie, était devenu lui-même complètement cinglé. En fait, il avait absorbé une bonne dose de LSD avant de sombrer dans la contemplation des taches qui avaient alors pris la forme d’une tête ensanglantée rattachée au… Merde! Le téléphone maintenant.

- OUAIS? (J’ai gueulé dans l’appareil.)
- Monsieur Marcel Jobidon?
- Soi-même ma poulette. Je peux vous être utile à quelque chose?
- (Toussotement.) Eh bien, vous pourriez, par exemple, m’expliquer le motif de votre absence à votre rendez-vous de ce matin avec monsieur Lacasse, du bureau d’assurance chômage.
- (Silence)
- Vous êtes toujours là monsieur Jobidon?
- Oui
- (Silence)
- (Silence)
- Désirez-vous que je répète ma question?
- Vous seriez gentille…
- Vous étiez censé rencontrer, ce matin à dix heures trente précises, monsieur Lacasse du bureau d’assurance chômage. Vous ne l’AVEZ PAS FAIT. Puis-je savoir POURQUOI?
- Vous ne me croiriez pas.
- Dites toujours.
- Et bien voilà. En me rendant ce matin à mon rendez-vous avec monsieur… monsieur…
- Lacasse.
- C’est ça, Lacasse. Eh bien, en me rendant à mon rendez-vous, je suis tombé (à quelques portes seulement du bureau) sur un type étendu par terre, recroquevillé sur les marches d’un perron. Les gens passaient, indifférents, s’imaginant que le type était saoul ou s’en foutant tout simplement. Mais au moment où je passais devant, il a laissé échapper un râle et…
- Monsieur Jobidon, vous devrez fournir une PREUVE du sérieux et de la gravité du motif de votre absence à ce rendez-vous. D’ici là, le versement de votre allocation sera interrompu.
- Mais écoutez, je ne connais même pas ce type qui…
- Je regrette monsieur Jobidon. Nous vous ferons parvenir un avis écrit de suspension du versement de votre allocation. Si vous désirez mettre fin à cette mesure, nous vous prions de faire la PREUVE du SÉRIEUX et de la GRAVITÉ du motif de votre absence. Au revoir, monsieur Jobidon.
- M…

Merde.

J’en oubliai la fin de mon poème.

Je me roule un dernier pétard avec un fond de sac poudreux et un reste de tabac sec. J’allume. Ça a un goût de chiffon sale trempé dans du beurre rance. Une bière. Il me faut ABSOLUMENT une bière pour faire passer le sale goût de cette poisse. Le frigo contient trois choses : un vieux camembert grisâtre et ratatiné, un reste de céleri mou et un tube d’onguent contre les hémorroïdes. Pas de bière.

Bon.

Je ramasse la monnaie qui traîne, vide mes tiroirs, fouille sous le lit, dans les poches de pantalons sales qui traînent ici et là. En ajoutant les bouteilles vides (j’en ai pour deux gros voyages), j’ai de quoi me payer deux packs de six et des chips.

Je dépose un premier voyage de bouteilles au dépanneur du coin et retourne aussitôt chercher le reste et la monnaie.

Mes clefs…

Sur la table. Avec la monnaie.

Si une seule fois dans ma vie, je devais voir rouge, ça aurait dû être celle-là.

Je suis retourné au dépanneur. J’en avais pour trois bières.

Bon.

Voilà. J’ai fait ce que j’ai pu. Pas moyen. Malgré cette journée merdique, malgré mes intentions et même le titre de cette histoire, je n’ai pas vu rouge. Je n’ai pas pu.

Désolé.

Ah oui! J’allais oublier. C’est à ce moment précis qu’une flotte à noyer un rat s’est mise à me dégringoler dessus.

Évidemment.

2 commentaires:

  1. Captivante tranche de vie ! J'ai beaucoup aimé le style avec lequel c'est relaté.

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    1. Un style que je me suis permis bien humblement d'emprunter à un maître, qui en dit ceci:

      MY STYLE

      I watch the jocks come out in the post parade
      and one will win the race, the others will lose
      but each jock must win sometime in some race
      on some day, and he must do it often enough
      or he is no longer a jockey.

      it’s like each of us sitting over a typewriter
      tonight or tomorrow or next week or next month.
      it’s like the girls on the street trying to score
      for their pimps
      and they have to do it often enough
      or they are no longer whores
      and we have to do it often enough
      or we’re whores who can’t score.

      I would like a little more kindness and warmth
      in the structure of things.

      I became a writer but when I was a boy
      I used to dream of becoming the village idiot,
      I used to lie in bed and imagine myself that careless idiot,
      planning ways to get food and sympathy easily,
      a planned confusion of not too much love or
      effort.

      some would claim that I have succeeded
      in this.

      Charles Bukowski (Bone Palace Ballet)

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